mercredi 10 mars 2010

Extrait de " En Mémoire de Nous "

A lire avec cette musique:






L’inévitable

Et il y a ces mots que nous ne pouvons prononcés, ces mots qui restent suspendus à nos lèvres, des mots qu'on voudrait dire, des phrases qu'on pense vaines et inutiles, mais bel et bien nécessaires... Il y a ces silences qu’elle aurait dû transformer en mots, ces silences bien plus éloquents qu'un geste, qu'une parole, ces silences qui anéantissent tout. Elle aurait dû lui parler, lui dire que tout ça n'avait aucun impact sur elle, qu’elle ne ressentait plus rien, qu’elle était guérie, de Robert, d’eux, de ce passé qui la hante. Elle aurait dû lui mentir, elle aurait dû faire renaître cette étincelle qu'il y avait dans ses yeux lors de leurs premiers instants, elle aurait dû le faire sourire, lui faire l'amour, lui dire je t'aime... Elle aurait dû lui faire comprendre que le passé n'était que poussière et que son présent était avec lui. Elle aurait dû... Rien que pour lui, juste pour lui... Pourtant... Elle n’avait rien dit. Elle n’avait pas tenté de se justifier, ni même de se trouver une quelconque excuse, elle n’avait répondu quand il lui avait demandé si elle l'aimait, elle a au lieu de mentir, baissé les yeux lorsqu'il lui avait demandé si elle aimait Robert bien plus qu’elle ne l'aimait lui, elle l’avait laissé partir... Sans un mot, sans un geste... Elle l’avait laissé partir. Parce que d'une certaine façon elle l'aimait, à sa manière, différemment de Robert ; mais elle l'aimait assez pour qu'il la quitte ; assez pour qu'il ne fasse plus partie de son enfer et de la vie qu’elle lui imposait. Mais pas assez pour essayer de le récupérer... Elle l’aimait d'une certaine manière, mais sûrement bien trop mal...

Il était une fois de plus il est parti !

Ambre ne l’avait pas attendu, elle n’avait pas espéré son retour, ni même encore qu'il la comprenne...  Elle ne voulait qu'il revienne, qu'il lui parle et trouve une solution à cette situation qui n'en a pas, elle ne voulait pas espérer qu'il veuille toujours d’elle... Elle avait simplement attendu que la journée passe et que sa fin sonne, celle de leur couple, elle avait simplement désiré qu'il la quitte, sans un mot, sans une parole... Simplement qu'il la quitte. Et elle avait prié pour qu'il ne revienne pas... Prié pour qu'il abandonne et qu'il comprenne que Robert était bien plus fort que tout, bien plus fort que lui... Mais pourtant...Vers minuit, il réapparut ; il s'était affalé sur le lit et n'avait pas dit mot, il avait attendu lui aussi ... Mais quoi ? Ambre ne savait pas. Puis dans un soupir, il lui avait dit l'inévitable, ce qu'il n'aurait jamais dû dire, ces mots qu'il n'aurait jamais dû prononcer :

- Je t'aime Ambre. Tu le sais ça, hein ?
- Oui, répondit dans un sanglot.
- Tu l'aimes et je crois que d'une certaine manière il t'aime encore. Mais je t'aime bien plus que les mots ne peuvent le dire. Et si je dois affronter ça, et bien soit, je l'affronterai...

Et sans dire mot, elle se tourna vers lui et posa sa tête sur son torse... Simplement parce qu’elle ne savait quoi répondre, simplement parce qu’elle l'aimait bien, trop mal, bien trop douloureusement, mais elle l’aimait...

Alors que Bruno était endormi, Ambre se leva, se dirigea vers le bureau et ouvrit le tiroir. Elle ressentait le besoin de lire une énième fois les mots de Robert. Ce jour où il lui avait offert ce bracelet était gravé, pour sa valeur, pour la nuit qu’ils avaient passés, pour ces mots qu’il lui avait dit, pour ces promesses qu’il avait faites… Elle se souvint de ce combat qu’elle avait du mener. De celui qui a dû être le sien...

Pouvoir réécrire le présent, le redessiner, le modifier... Mentir, par nécessité, par envie, par simple envie de ne rien dire, cacher certaines choses, enfouir quelques blessures, quelques maux... Mentir et tout contrôler. Etre maître de soi, des multiples facettes de notre personnalité, calciner minutieusement la haine, la passion, la tristesse et sourire... Et sourire, rire, parler ; pour que personne n'entrevoit la vérité, pour que le masque fasse partie intégrante de nous... Sourire, parler, et rire... Vivre même si le cœur n'en a plus envie, même si la raison perd de son pouvoir... Vivre parce que personne ne doit savoir...

Bruno n’avait prononcé aucun mot, avait jugé bon de ne rien dire de plus, de se taire pour ne pas envenimer les choses, il avait repris le cours de sa vie... Il avait recommencé à prononcer les « je t'aime » routiniers, à lui faire l'amour délicatement, il s'était de nouveau imposé dans sa vie... Il avait fait comme si de rien n'était, avait brûlé les lettres de Robert pour que rien ne reste, avait rangé son bracelet dans une boîte et lui en avait offert un, bien plus beau, bien plus onéreux, bien plus voyant... Mais sans symbolique, sans histoire, il ne reflétait rien, mise à part peut-être, la compétition. Il s'était cru investigué d'une mission, il avait cru bon de balayer l’ombre de Robert, de changer ses habitudes, il l’avait prise par le bras strictement et l’avait obligée à regarder vers l'avenir...

Ils avaient repris leur vie, les journées de travail, les soirées en tête à tête. Il avait décidé de tout contrôler, de se battre, de ne pas s'avouer vaincu... Le combat semblait perdu d'avance, ne trouves-tu pas, Robert ? pensa-t-elle une nouvelle fois anéantie. Le combat était vain, il en avait conscience mais tentait de se prouver à lui, bien plus qu'à elle, sa force à combattre un fantôme...

C'est à se demander ce qu’elle faisait encore ici, errante, un pied au dessus du vide l'autre prêt à chavirer dans les tréfonds du passé. Seule, perdue, hésitante, aimant presque cette indécision qui l'enlaçait depuis tant d'années. C'est à se demander si ce n'était pas les souvenirs qu’elle aimait plus que de raison et non l'être qui les avaient composés. Cette drôle d'impression de n'avoir sa place ailleurs qu'ici, à vivre difficilement le cœur se conjuguant au passé, les bras cherchant vers l'avenir. Pourtant rien ne lui plaisait plus ici, tout était noir, et la voix de Robert résonnait sans cesse comme figée dans le temps. Des photos de lui étaient négligemment posées par terre, esquintées par la haine et la passion, d'autres de Bruno tentaient d'éclore dans les bourgeons d'un arbre, à l'orée d'un bois. Tout semblait entre la vie et la mort, la laissant le douloureux choix de donner la vie ou son inverse en une pression de doigt. Rien ne me ressemblait, tout s'affaissait ou se créer difficilement, non rien ne me ressemblait depuis bien trop longtemps déjà, ni sa vie et celle qu’elle était devenue aujourd’hui. Et indéniablement tout la ramenait à Robert. Uniquement lui. Elle avait empêché avec ses maigres moyens d’effritaient ses souvenirs. Tentant du mieux qu’elle pouvait d'omettre le bruit des vagues et ce nom qu'elles murmuraient lors de ces journées de calme, de ne croire qu'en la noirceur d'une partie de ce paysage, d'aimer à en mourir les rafales de vent hurlant la fin, ces arbres prêts à mourir sous le poids des feuilles mortes ; la partie du ciel grisâtre où les nuages bien plus noirs que les ténèbres se battaient en duel lors de jours de tempête. Elle avait aimé tout ce qui était laid, tout ce qui s'était attardé sur les défauts, tout ce qui ne vivait plus ou s'efforçait de survivre. Elle avait aimé ce qui n'était plus, ce qui fut jadis, bien plus beau que la partie vivante de ce monde. Elle avait essayé et lorsque tout ça était bien trop dur, lorsque son cœur prêt à se briser lui criait de se résigner, elle avait laissé sa raison prendre possession d’elle, guidée ses pas, l'obligeant à passer la ligne fatidique entre le vivant et l'amorphe, pour loger quelques instants dans un monde où l'existence se faisait encore sentir. Rien ne devait l'obliger à être ici, les souvenirs se rangeaient, laissant peut-être place à de nouveaux ; pourtant les leurs, ceux d’elle et Robert étaient coriaces, ils m'emprisonnaient. Ils éloignaient Bruno, interrompant le cours du temps et l'entraînaient dans le passé. Elle voulait être plus forte, se battre ; mais elle aimait ces réminiscences, elle les aimait à en mourir... Parce qu'il ne lui restait que ça. Uniquement ça.

Ca ne dérangeait pas Bruno d'être mêlé à tout cela, d'être à son service, de tenter avec ses maigres moyens de réparer les choses, recoller inefficacement les morceaux. Rien ne le dérangeait puisque d'après lui tout le concernait. " J'ai vécu les choses comme si j'étais le premier concerné Ambre" dit-il lorsqu’elle ne pouvait s’empêcher un soupir signifiant son agacement à le savoir toujours combatif face aux problèmes ne le concernant pas. Encore une fois, il avait accepté sans broncher et même après trois ans, elle se demandait ce qui le poussait à l'aider encore. Il ne restait que ce lien. La difficulté était là, prendre une décision alors qu’elle ne faisait que vivre dans un monde imaginaire, faisant en sorte que son couple perdure dans le temps, que Bruno ne se doute de rien, régler ses problèmes alors qu’elle n’avait u’une envie, partir à l'investigation de ce qui fut jadis une vie. Le plus dur était là, affronter le présent, paraître sereine, responsable, heureuse. Devoir tenir un rôle qui n'était pas le sien, apprécier une vie qu’elle avait choisie mais qui ne convenait plus, qui ne l’avait jamais vraiment convenue d'ailleurs. Oui, le plus dur était de penser à Robert, penser à lui, silencieusement, retenir, parfois, ses larmes. Aujourd’hui, c'était la décision qu’elle avait dû prendre, c'était les conséquences qui vont en découler, cette obligation de devoir faire ce choix et non son inverse. Aujourd'hui c'était cela qui était bien plus dur que tout, et non pas de devoir quitter un monde dans lequel elle aimait loger, ce n'était pas non plus de devoir vivre un autre jour. L'inconnu, oui, elle avançait lentement vers l'inconnu. Arpentant une rue plongée dans une pénombre presque effrayante, avec pour seul bruit le claquement de ses pas sur l'asphalte, celui des branches se mouvant dirigées par le vent qui se levait. C'est une rue que je connais, que j'ai visitée bien trop de fois pour en être apeurée, c'est une rue d'ordinaire apaisante ; mais aujourd'hui, c'était l'inconnu, c'était la peur. C'était tout ce qu’elle déteste mais qu’elle recherchait, ce qui attisait sa curiosité, ce qui la piquait à vif, la poussant presque au combat.

Un soir Bruno la laissa devant la porte à peine fermée, lui permettant d'entendre que quelques bruits, signe qu'il cherchait un papier. Il finit par revenir, le regard sombre, évitant habilement le sien. Elle s’aperçut qu’elle ne l’avait jamais vraiment regardé. Elle n’avait jamais vraiment prêté attention au grain de beauté ornant la commissure de ses lèvres ni même à la fine fossette sur sa joue gauche, elle n’avait jamais prêté attention à lui. Uniquement à lui, trop habituée à détailler en souvenir un autre que lui. Il lui tendit une enveloppe vierge de mots et finit par dire lourdement :
- Ne l'ouvre pas ici. Pas... Pas devant moi.
- Bien.
- Je dois...
- Je sais, répondit Ambre avant qu'il finisse sa phrase.
S'avançant peu sûr de lui, il laissa ses lèvres s'aventurer sur son front et y disposa chastement un baiser.
- Prends soin de toi.

Elle ne se souvint pas vraiment de la fin de cette journée ni même de celles qui ont suivi. Cela faisait bientôt une semaine, ou peut-être deux. Elle ne savait plus. Elle ne souvint pas de la date, ni même quel temps il faisait, juste que ce jour là, le monde semblait tourner au ralenti, et elle en orbite, tentant faiblement d'en faire à nouveau partie. Elle se souvint qu’elle n’allait ni bien, ni mal. Elle ne se souvint pas avoir pleuré, ni même ri. Elle se souvint juste avoir n’été que l'ombre d’elle-même... Ne sachant trop quoi faire. Elle déambulait dans une maison vide de Bruno. Laissant son regard se poser sur son lit qu'il avait fait sien, sur son écharpe négligemment posée sur une chaise, sur son bloc-notes. Elle se souvint avoir laissé son esprit partir à l'investigation de quelques réminiscences, lui rappelant trop bien que la cause de cette solitude n'était autre qu’elle. Elle ne se souvint pas avoir souffert, non. Elle ne ressentait plus rien... Et c'était peut-être ça... La faille. Et la lettre était toujours présente... Habilement noyée sous une pile de magazines. Elle était là, la narguant presque. Elle aurait dû l'ouvrir dès son retour, s'empresser de le faire. Espérer une lettre d'amour, suintant de douleur, de nostalgie ou autre. Elle aurait dû, mais lettre était toujours là...

Ambre laissa son regard se poser sur la montagne de revues. Elle devrait, mais elle en était incapable... Elle prit place lourdement sur le canapé, prenant une longue inspiration, ôta un magazine. S’alluma une cigarette, tira quelques lattes puis en ôta un deuxième. Une larme coula alors qu'un troisième laissait place à cette fameuse lettre. Elle la regarda, elle l'appela, lui murmurant de la lire. Lui hurla de ne pas la toucher. Elle était là, à défaut de Robert et de Bruno... Elle aurait dû… Mais que lui restera t-il après cela ? Plus rien. Robert lui avait tout pris, ne lui laissant que les regrets comme amant. Elle aurait dû. Depuis bien longtemps, ouvrir cette lettre... Elle aurait dû effacer les blessures ainsi que son souvenir, ne laissant aucune possibilité à une telle lettre d'exister. Elle aurait dû l'ouvrir et affronter la réalité au lieu de la peindre à son goût. Elle la pris entre ses mains, la détailla sous toutes les coutures, tentant de lire, à travers l'enveloppe, ce qu'elle contenait. Le temps sembla être figé... Elle aurait dû l’ouvrir, la lire et tenter de réparer ce qui s'effritait sous ses yeux...  Elle décacheta l'enveloppe avec soin, comme si elle contenait son cœur déjà bien trop meurtri pour qu’elle ne lui inflige encore quelques blessures. Elle sortit un papier sur lequel quelques phrases avaient été écrites à la va vite.

« Tu as les cartes en main Ambre. Tu peux aller le retrouver et le choisir lui ou rester et me revenir ... Libérée et guérie. Tu as les cartes en main… »

Elle fouilla l'enveloppe, ne comprenant que trop peu ces quelques phrases et en ressortit un billet. Elle avait le choix de retrouver Bruno et faire que le monde dans lequel elle vivait depuis bien longtemps élu domicile devienne réalité ou alors rejoindre Robert et enfin tirer un trait sur eux et sur tous ces démons qu’elle traînait derrière elle depuis tant d'années. Elle avait le choix de l'aimer, de le crier ou se taire et se laisser étreindre par d'autres bras que ceux de Robert. Elle avait le choix parait-il, pourtant, elle se sentait prise au piège... Tout semblait déjà dit, il n'y avait plus rien à ajouter... Il n'y aurait, normalement, plus rien à ajouter. Elle devait se faire à l'idée que ce n'était pas en se créant un monde la hauteur du passé que la vie serait peut-être plus détestable. Elle devait arrêter d'apercevoir Robert, de lui parler... Tout semblait déjà dit. Mais le souvenir de Robert persistait et cet ultimatum n'arrangeait rien. Il n'y avait plus rien à ajouter, pourtant... C’était avec la certitude que rien n'était vraiment terminé que la décision se fit irrévocable.

Elle aurait dû être sûre d’elle. Sentir au plus profond qu’elle avait fait le bon choix. Pourtant elle ne ressentait rien de tout ça. Rien ne pouvait prédire que c'était la bonne solution. Elle voulait dire à Bruno qu’elle ne regrettait pas. Qu’elle avait choisi, et que c'était ce qu’elle devait faire tôt ou tard. Lui confirmant qu’elle était sûre d’elle. Mais elle n’était sûre de rien. Elle avait voulu le rejoindre et être en sécurité dans ses bras et en même temps prendre un avion et reprendre là où tout s’était arrêté. Elle n’était sûre de rien.

Elle avait juste peur...

Et puis, elle reprit le cours de sa vie doucement. Elle reprit l’écriture. Et fit en sorte de guérir partiellement avant de rentrer de nouveau dans la vraie vie. Elle voulait être invincible, ne rien laisser paraître. Faire en sorte que personne ne comprenne et encore moins ne la reconnaisse. Elle voulait être Ambre. Seulement Ambre et en aucun cas celle avec qui avait souffert. Elle s’était caché par nécessité, pour que tout se tasse, que les gens l'oublient si bien sûr ils avaient daigné jadis lui accorder une quelconque importance, mais, pour être honnête, elle avait besoin de cela. Elle avait besoin de faire son deuil, seule. Pleurer des jours entiers sans que personne ne la dérange. Laisser sa tristesse prendre entièrement possession d’elle. Elle avait besoin de cela. Passer par le déni, le refus, la culpabilité, la dépression et finir par l’accepter. Elle avait besoin de vivre ces étapes avec elle-même et d'une certaine manière avec Robert. Et puis, elle a repris une vie normale. Elle avait eu le droit aux sermons de Martine, à tout ce qu’elle avait raté comme possibilité pendant ces quelques mois de silence.

Mais ce fût inévitable. Quelques semaines plus tard , Bruno la retrouva dans son bureau. Elle était plongée dans son nouveau roman quand il débarqua pour lui dire qu’il n’en pouvait plus :
- Je ne sais même plus comment t'appeler. Ambre? Mon amour ? En souvenir de ce que nous avons été ? Laisser planer le doute, ne débuter par aucune formule de politesse ? Te dire que je t'aime alors que ça ne changera rien, te dire que je te déteste et mentir comme tu le fais si bien ? Parler des heures de ce que nous avons vécu pour que les souvenirs t'assaillent ainsi que le regret de me savoir loin ?
- Je suis vraiment désolée… Trop de questions se bousculent dans ma tête…
-  Arrête de te poser ces milliers de questions et assume tes choix. Arrête de cacher ta tristesse. Tu vois je ne sais plus quoi penser de nous… Et je crois que je n'ai jamais vraiment su. Nous vivions dans une sorte de monde qui me plaisait, mais au final c'est à se demander si toi tu n'étais pas dans le tien et moi dans le mien. Je pensais que tout allait, que rien ne pouvait nous détruire, que j'étais assez fort pour me battre contre un être invisible. Contre lui... Je vivais dans un monde où tu m'aimais, où tu te sentais capable de vivre avec moi sans te retourner vers le passé, sans chercher désespérément quelque chose qui pourrait te rattacher à lui. Je pensais que les souvenirs étaient habilement rangés dans un coin de ta mémoire, que tu voyais ta vie ou tout du moins un bout de celle-ci, avec moi. Que tu allais mieux, que je t'aimais comme jamais il ne l'avait fait. Qu'avec moi la douleur n'existait pas, que tout était plus facile et que c'était ce qu'il te fallait. Je vivais dans mon monde et finalement à être trop sur toi, j'ai fini par omettre l'important : j'avais tort.
- Chut, je t’en prie ne dis plus rien…
- Je m'excuse Ambre, oui cela peut te paraître ridicule, c'est toi qui me pousse à partir et pourtant je suis là à me confondre en excuses. Oui je m'excuse, je n'aurais jamais dû me sentir investigué d'une mission, me croire capable de te faire oublier ce Robert que tu aimes à en mourir, penser être capable de panser les blessures suintantes de douleur, me sentir capable de te faire sourire, te donner envie de regarder vers l'avenir, de laisser le passé derrière toi. Je m'excuse d'avoir cru en nous comme tu as cru en moi à une période de ta vie. Je m'excuse de t'avoir aimé bien au-delà des mots. Tu étais ma Ambre. Tu étais celle pour qui j'aurais tout fait, sans aucun regret, sans aucune peur, sans aucune limite, sans aucune retenue. Je t'aime Ambre, bien plus que tu ne peux l'imaginer et je crois que je t'aimerai toujours, quoi qu'il arrive, que nos chemins se séparent ou qu'ils finissent par de nouveau se recroiser.
- Je t’en supplie, pardonne-moi…
- Je ne m’en sens plus capable. Je suis fatigué, à bout. Je ne me reconnais plus. Ce n'est plus moi, ça n'aurait jamais dû l'être. Alors je m'excuse Ambre, pour cette fin, aucunement à la hauteur de ce que j'aurais aimé t'apporter, pour ce silence. Je m'excuse de t'aimer et de vouloir à mon tour partir pour ma survie. Je m'excuse de ne pas être assez fort, de ne plus vouloir me battre. Je m'excuse de t'aimer de la sorte et de n'être bon qu'à partir. J'étais celui qui t'a ramenée à la vie, aujourd'hui je ne suis que celui qui te pousse à la quitter... Il est temps pour moi de tirer ma révérence, d'abdiquer et de n'ajouter qu'une chose... L'amour n'a pas été assez fort. Pas avec moi. Pas contre lui... Il a gagné, j'ai perdu. Soit. J'accepte...
- Ne me laisse pas… Pas comme ça… Je t’en prie, ne pars pas.
- Je n’en ai plus la force, Ambre.

Encore une fois, le souvenir de Robert avait tout foutu en l’air. La seule personne qui l'a aimée venait de la quitter à tout jamais.

Mouna Toujani

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