mercredi 10 mars 2010

Nobis in Memoriam… « En mémoire de nous… »








Synopsis : Ambre Ben Yedder décède subitement… Martine, sa meilleure amie, est alors soupçonnée d’homicide volontaire par le commissaire Omar Ben Othman, homme d'expérience et proche de la retraite, qui réussi grâce à ses relations à se faire confier l’enquête. Celle-ci est rendue d’autant plus ardue à cause des tragiques évènements qui se déroulent au même moment en Tunisie...

Biographie : Mouna TOUJANI, une personnalité partagée entre force et faiblesse, entre colère et amour. Elle a écrit son premier Roman intitulé «  Le combat de toute une vie » et un second naîtra quelques mois plus tard, ce besoin d’écriture est plus que vital pour elle, c’est une forme de thérapie. Sa plume n’a d’égale que sa quête d’authenticité et sa capacité d’aller aux risques d’elle-même! Fragile comme la feuille à l’arbre ! Forte comme les racines qui le portent! Lire ses livres, c'est apprendre à la connaître et c'est aussi, parfois, se retrouver face à ses propres démons…

Préface 1 : les gens sans histoire… Ne peuvent pas en raconter.
C’est en trempant sa plume dans les souffrances, les blessures et les douleurs de son passé que Mouna Toujani  parvient, une fois de plus, à nous émouvoir, à nous toucher au plus profond de notre cœur et de notre âme, par la sensibilité de ses mots et par sa manière de raconter.
La souffrance peut parfois engendrer la colère, la haine, le sentiment de révolte, mais elle peut aussi, au contraire, ou conjointement, décupler l’Amour. Ou plus exactement, la perception de l’Amour.
Mouna Toujani, de toute évidence, aime l’Amour… Et l’Amour l’aime… Voilà pourquoi, elle en parle si bien…
Mais quand l’Amour devient Passion… Le drame n’est jamais loin…
Drame, Amour, Passion… Trois mots qui lui collent à la peau…
Vous aimerez la lire, et vous aimerez la (re)découvrir. Parce que personne ne peut rester insensible, face à tant de… Sensibilité…
                                                                                                                           Philippe Brion

Préface 2 : il en va en matière de découverte pour l’écriture, comme pour la peinture !
Je ne parle pas de l’œuvre mais de l’auteur.
Cela revient au même mais suivez mon raisonnement.
Si je devais découvrir Picasso, sachant ce qu’il est devenu ou si j’avais assez de discernement pour savoir avant qu’il soit reconnu ce qu’il deviendra, que ferais-je ? Que feriez-vous ?
J’achèterai tous ses tableaux pour être le premier. D’abord orgueilleusement pour dire : “c’est moi qui l’ai découvert” ensuite parce que je serais convaincu de ce qu’il va rapporter.
Le talent n’est pas toujours anticipé.
Il ne vaut parfois que parce qu’il est bien entouré.
Mais aujourd’hui il ne peut nous échapper car la propagation de l’information sur Internet révèle le savoir faire en faire savoir.
Moi j’ai vu sur les réseaux sociaux que l’auteur ne laissait personne indifférent ! Plébiscitée par ceux qui la découvrent, aimée par ceux qui la suivent.
Qu’il s’agisse de ses poèmes ou de ses romans, chaque ligne est une corde de guitare à la Manitas del Platas, chaque récit est digne des grands dignitaires romanciers.
Avec elle, homme ou femme, quelque soit leur aventure personnelle revive leurs émotions intérieurs, sorte de jardin de l’âme.
Mouna Toujani détient le secret de ces âmes et porte en elle la fibre de la sensibilité parfaite qu’elle traduit avec ses mots, et ses maux sont les nôtres.
Ce Roman est encore un moyen de nous piéger parce que dès que vous en aurez commencé la lecture, votre affect s’en ressentira et vous aurez la boulimie de la lire...Mouna Toujani…

                                                                                                                 Robert Benitah


Petit extrait:


- Robert, j’ai quelque chose de très important à te donner… Assieds-toi et écoute-moi parce que toute ta vie va sûrement changer après ça ! Elle l’a écrit pour toi. C’est tout ce qu’elle n’a jamais pu te dire…

Je lui tendis le livre : « En mémoire de nous » en était le titre. Il me regarda, surprit, et le prit de ses mains tremblantes. Le frôlant du bout de ses doigts, l’ouvrit après avoir jeté un bref coup d’œil à la couverture et, bredouillant, et commença à lire à haute voix la première ligne manuscrite qu’elle avait écrite à l’intérieur :


Cher Robert,

Ma vie a perdu de son attrait le jour où j’ai appris qu’il ne me restait plus beaucoup de temps… Et quand la joie ne nous entoure plus, quand tout devient fade, sans goût, sans odeur, sans sensation... Quand les souvenirs sont tout ce qu'il nous reste, ce qui vous rattache au passé, aux regrets, aux envies, à l'amour... Lorsqu'il ne reste plus que cela, tout ce qu'il y autour ne compte plus... Les souvenirs se focalisent sur cette voix, ce visage, ce corps, ces mots, ces gestes... Ces preuves, ces envies, ces cris, ces pleurs. Oui les souvenirs ne se focalisent que sur ça. Les causes de l'amour.

Je n'ai nullement pris la décision de tout occulter, de ne garder que certains détails, d'omettre les futilités, l'inutilité. Je n'ai pas choisi les souvenirs, je n'ai pas fait le tri, je n'ai pas gardé que le meilleur ou son inverse. Je n'ai pas voulu tout ranger dans un coin de ma mémoire, je n'ai pas voulu fermer à double tour ce coffre dans lequel ce nous était négligemment disposé. Je n'ai pas fait abstraction de nos habitudes, de notre mode de vie et de tous ces détails qui prouveraient au monde entier l'immensité de mon amour. Je n'ai pas fait la part des choses, j'ai laissé ces souvenirs m'habiter, certains se sont effacés, d'autres ont perduré...Le nécessaire, l'utile a persisté... Quant aux futilités, aux inutilités, aux détails ne te concernant pas ils se sont envolés... Seul ton visage est resté, chose immuable, bouleversante addiction... Mais sache Robert, que je pourrais retracer chaque jour, chaque minute, chaque seconde s'il le fallait... Si tu avais eu besoin que je parte à l'investigation de souvenirs, de détails, d'habitudes, de mimiques pour connaître l'ampleur de mon amour, je l'aurais fait. Je peux le faire... Je vais le faire…

« Je me souviens de toi comme une brise de vent doux qui a doucement caressé ma vie. Tu as soufflé sur elle toutes les émotions qui m’ont fait renaître. Femme, je me suis senti auprès de toi : Femme transportée par le tourbillon de l’amour. Je me souviens de cette sensation de bien-être quand j’étais blottie aux creux de tes bras. Je me souviens de ce sentiment de sécurité et de cette force que tu dégageais quand tu me serrais contre ton cœur. Il n’y a qu’à cet endroit que je trouvais la sérénité. Tu as été le père, le frère, l’ami, l’amant… Tous ces sentiments qui m’avaient manqué depuis ma plus tendre enfance. À toi seul tu as comblé tous ces vides. Quelques mois de bonheur dans toute une vie. Dans mon cœur et mon esprit, tu as toujours été présent. L’amour c’était Toi. Le bonheur aussi. Pour moi, tu fus ce « Tout » qui m’a comblée, même si… Je ne me suis jamais arrêté à des « si », tu valais bien plus que ça ! Oui, tu méritais tout mon amour, et cette flamme que j’ai toujours eue pour toi continuera d’éclairer ta vie quand je ne serai plus là… ».

PS : Si tu lis ce livre en ce moment même, c’est que mon corps est loin d’ici, mais je t’ai laissé mon âme. Imprègne-toi d’elle comme je me suis imprégné de la tienne. N’oublie jamais combien je t’ai aimé et continuerai de le faire de là où je serai.
Signé : Celle qui n’a jamais cessé de croire et d'avoir foi en toi.

Les larmes l'empêchèrent de continuer, mais il ne pouvait pas détacher ses yeux du bien qui était entre ses mains…

    - Elle et ses secrets !

Il referma le livre pour regarder la photo de couverture qu’il caressa de ses doigts, tendrement. C’était une des photos d’elle et de lui, prise pendant le voyage qu’ils avaient fait ensemble en Tunisie. Un sentiment intense le traversa si fort en se rappelant cette époque où ils furent heureux qu’il en eût eu la chair de poule.

Plus tard, une fois rentré à l’intérieur, il prit place dans un fauteuil du salon. Ses jambes et ses mains tremblaient de plus belle. Il ignorait encore que lorsqu’il refermerait le livre, une fois après l’avoir lu, les mots d’Ambre bouleverseraient sa vie. Alors avant le coucher du soleil et sous l’œil protecteur de son ange, il débuta sa lecture.

Mouna Toujani 








                                                                                                                                                                         

En Mémoire de Nous...










Chapitre VI

« En mémoire de nous »

Elle voulait raconter son histoire au reste du monde simplement pour qu'il ait la définition exacte de l'amour, de la passion, de l'addiction. Elle voulait retracer votre début, chaque infime journée qui a fait de vous un couple. Chaque minute, chaque seconde... Ce début si maladroit, ce milieu si passionnel, cette fin si douloureuse... votre fin.

Fin Septembre 1984 : tout commença 24 ans plus tôt.

Assise seule à une table d’un café dans Paris, ville de rêverie, une jeune femme brune, du nom d’Ambre Ben Yedder, la vingtaine aux cheveux long, noir et bouclés, lisait avec avidité « Laila et ses confidences ». Elle en connaissait déjà l'histoire, ayant oublié seulement les détails, pour l'avoir déjà lu plusieurs fois. Mais elle avait trouvé dans la lecture un refuge contre les pensées maussades qui avaient tendance à l'assaillir ces derniers temps. Perdue dans les lignes, soudain, elle entendit une voix masculine dire derrière elle :
- Je t’observe depuis plus d’un quart d’heure et … commença t-il puis il se tut.
- Et ? demanda-t-elle intriguée en se retournant.
- Je voulais juste te dire que tu es merveilleusement belle quand tu rêves…
Elle s’étonna de son audace ! Un homme se tenait debout devant elle, l’air décontracté, il portait un blue-jean, un tee-shirt noir et tenait un journal dans sa main droite. Ses lunettes noires l’empêchèrent de voir la couleur de ses yeux. Il était beau, attirant, intrigant… Cela la perturba et son cœur s’emballa.
- Un autre café ? demanda-t-il avec un sourire charmeur.
Elle se mit à son tour à sourire intérieurement. Elle l’observa, le dévisagea. Essayant de calmer son esprit en prenant un ton plus arrogant pour répondre à son invitation.
- Non, merci ! répondit-elle, en essayant de paraître le plus ferme possible.
Elle baissa instinctivement la tête.
- Tu es sûre de ne rien vouloir boire ? réitéra-t-il, d’une voix insistante devant son refus. Même pas un verre d’eau ?
Elle releva la tête et vit son regard insistant :
- Merci !
Elle prit le verre d’eau qu’il lui tendit. Sa main toucha la sienne. Retenant sa respiration le temps que dura le frôlement pendant lequel ses doigts avaient langoureusement parcouru sa main. Il le fit exprès, ce fut une évidence ! Il comprit qu’elle fut gênée par sa démarche, alors il s’approcha plus près d’elle, et d’une de ses mains, il lui releva son menton, la regardant droit dans les yeux :
- Que fais une jolie femme telle que toi seule dans un café ? lança-t-il en jetant un regard circulaire autour de lui.
-  J'aime la solitude ...
Il sourit, tandis qu’elle le regarda, incrédule, s'asseoir à ses côtés.
- Je vous en prie, installez-vous, siffla-t-elle avec ironie sans cacher son ressenti.
Il ne lui prêta guerre attention, posa son journal  d’un air amusé contrastant avec l'indignation qui teinta le visage d’Ambre, et ce fut pour lui poser une nouvelle question.
- Tu es froide avec moi seulement ou ?
- Par principe, lâcha-t-elle sans réfléchir. Vous accostez les gens sans pudeur, sans gènes, et vous ne paraissez même pas vous rendre compte que je ne suis pas impressionnée par votre manque de tact. Et une dernière chose, je pense qu’il est temps pour vous de passer votre chemin !
- C'est tout ?
- Non, répondit-elle exaspérée. Vouloir me parler n'est pas l'idée la plus brillante que vous ayez eu !
- Tu crois qu'en jouant la fille blasée, tu vas me faire fuir ?
- Je ne ... Quoi ? Blasée, moi ?
- Oui, blasée. Ce n'est pas parce que ta vie sentimentale doit être un fiasco que tu vas détruire celle de tous les types que tu croises.
Estomaquée, elle le dévisagea, ne sachant quoi répliquer.
- C'est une blague ? Vous êtes vraiment en train de me juger, alors que l'on ne s'est jamais adressé la parole ? C'est quoi ce plan ?
Elle sentit la colère monter en elle, telle une marée dont elle tenta de contenir les flots. Lui, ne sembla pas se rendre compte de sa rage naissante, ou alors il feinta de l'ignorer avec une habileté remarquable.
- On s'est parlé, il y a deux semaines tu t’en souviens ? Tu étais presque aussi chaleureuse qu'aujourd'hui, poursuivit-il avec ironie devant mon mutisme, c'est sans doute pour cela que tu l'as oublié. A moins que tu ais préféré jeter ce souvenir à la trappe parce que tu avais abandonnée pendant un instant ta fierté ?
Masquant tout accès de colère, elle rangea son livre dans son sac, froissant au passage une feuille volante qu’elle n'avait pas pris le temps de ranger, et enfila son manteau.
- Je suis désolé, je ne voulais pas dire quoi que ce soit qui puisse te blesser.
Elle aurait voulu le tuer sur place.
- Alors abstiens-toi de jouer au mec compréhensif. Ce n'est pas parce qu'on s’est croisé quelque part que je dois m’en souvenir et je n’aime pas qu’on vienne m'emmerder.

Sans lui jeter le moindre regard, elle quitta le café après avoir laissé quelques pièces sur la table.

Prenant le chemin de l’appartement de Martine. Elle tenta vainement de garder son calme, essayant d'oublier les quelques mots que cet inconnu venait de lui balancer. Elle n'avait pas l'habitude qu'une autre personne que sa meilleure amie lui crache des telles vérités en pleine face. Mais lui, il lui inspirait une telle colère. Sous ses airs de mec un peu paumé, il avait une façon d'observer les autres à leur insu, et elle en avait fait les frais. Ou du moins c'est ce qu’elle pensa, au vu du peu qu'il avait deviné de sa vie à l'issus de leurs quelques paroles échangées. Au fond il devait penser que son action était louable. Avec quelqu'un d'autre peut-être, mais elle avait un profond mépris envers toute forme d'attendrissement.

Elle courut presque à présent. Une pluie bruineuse donnait du ressort à ses ondulations, et elle passa sa hargne en observant avec un malin plaisir les filles qui se pressaient sous leur parapluie pour masquer leur brushing impeccable.

Cette rencontre avait pendant des jours et des nuits troublé sa vie. Elle le voyait sans cesse son visage. Ne cessant de penser à cet inconnu arrogant, certes et, aussi stupide que cela puisse paraître, ce n’était plus un étranger pour elle mais bel et bien un homme avec lequel elle s’endormait et se levait tant il la hantait. Puis les mois s'étaient écoulés, elle passait ses journées à écrire : il fallait qu’elle avance. Son seul but étant de pouvoir réaliser ce rêve qui lui tenait tant à cœur.

Mouna Toujani

Roman " En mémoire de nous "





                                                                                                                    

Ambre, était de celle qui ne croyait en rien avant de le rencontrer. Elle avait amortie trop de coups pour croire en quoi que ce soit. Et surtout pas en l’amour. Elle ne croyait en rien, simplement pour ne rien attendre des autres et de la vie.

Jusqu'à lui…

A présent, elle se retrouvait seule dans cet appartement, cet appartement qu’elle ne voulait pas quitter. Contemplant les photos qu’il avait prises d’elle, les placards vides jadis remplis de lui… Elle contempla ce « eux » qui n’en était plus un…. Elle contemplait ce qu’il avait fait d’elle, ce qu’il avait fait d’eux.

C’est fou comme elle aimait cet appartement, c’est fou comme elle l’y avait aimé dedans, c’est fou à quel point elle l’avait aimé et à quel point elle l’aimait sûrement encore…

Combien de temps ? Combien de journées s’étaient écoulées depuis ce jour là ? Combien de jours sans lui ? Combien de jours à vivre... Atrocement, trop douloureusement, trop mal, trop simplement ? Combien de minutes, de secondes sans son corps, sans son rire, sans son cœur, sans la raison pour laquelle elle avait commencé à aimer la vie ?

Il s’insinuait dans son esprit, prenant possession de sa raison, il anéantissait l'espoir, l'envie, la volonté... Cherchant cette partie de lui,  qu’elle attendait, qu’elle voulait bien plus férocement qu'aucune autre... Pourtant, elle n’aurait jamais cru pouvoir parler de lui au passé, n'évoquer que les souvenirs et non le présent... Pourtant, elle ne savait pas leur fin si proche, elle ne savait pas qu'il y aurait une, tout simplement.

Elle doutait du présent et de cet avenir si flou. Elle avait peur pour elle et peur des choses qu’elle pourrait faire... Peur de l'amour qu’elle avait pour lui et de la folie que ça faisait naître en elle... Peur de se perdre, de ne plus se reconnaître, de ne pouvoir exister qu'avec lui... Peur de ne pas être assez forte, de ne pas pouvoir vivre une minute de plus sans lui.

Elle doutait de ne pas être assez solide pour encaisser la douleur, les coups durs… Elle avait peur de devoir tirer trop tôt le rideau. Peur de devoir renoncer à lui, trop tôt, trop vite, trop mal... Peur de devoir tirer un trait sur eux par obligation, pour sa survie...

Et brusquement, sans trop y réfléchir, elle se leva, enfila un jeans, ses chaussures, fonça et courut prendre un taxi… En direction du lieu où ils s’étaient rencontrés la première fois… Arrivée, elle paya le chauffeur, descendit… Traversa la rue, avança jusqu'à ce bar, fit marche arrière, esquissa un pas puis deux... Une larme se mêla à la situation devenue presque grotesque. Elle courut jusqu'au carrefour d'une rue, marcha la nuit, seule, tentant de retrouver le chemin de chez elle en regrettant cette folle envie de le revoir, voulut tant de fois faire demi-tour, revenir sur ses pas et le retrouver. Elle marcha la nuit, une heure, peut-être même deux jusqu’à arriver à destination... Le cœur ayant pris le pas sur la raison.



Elle l'imagina là, patientant, presque hésitant. Elle l'imagina tout comme elle espérait l'apercevoir dans un coin, dans l'obscurité, sentir son odeur et se laisser guider par elle. Elle attendit qu’il daigne lui montrer que tout était réciproque, qu’il avait enfin compris que l'amour n'était pas qu'une arme de destruction, qu'à deux ils pourraient devenir un tout, quelque chose de bien plus fort, de bien plus beau.

Elle attendit comme on attend l'amour sur un quai de gare, au carrefour d'une rue. Elle attendit comme on attend qu'une fois ; espérant qu'un dieu, auquel on ne croit pas, nous fasse un signe. Un seul et unique. Elle attendit... Et puis croyant faire le bon choix, celui qui lui épargnerait quelques souffrances de plus, elle lui téléphona. Tuant cet autre « moi » l'intimant de rester et d’attendre. Il se donnèrent rendez-vous à la maison, leur chez eux, leur nid d’amour…

Elle courut, à en perdre haleine, dévalant les escaliers sans aucune conscience du risque, de la connerie qu’elle était entrain de faire, de la peur de rechuter. Elle courut... Rattrapant à la volée cette foutue fierté qui avait décidée de se faire la malle. Elle courut vers lui... Inconsciemment. Peut-être bien trop consciemment. Elle ne savait pas pourquoi... Mais, elle courut vers lui.

Elle se souvint de ces dernières marches, de cette porte qu’elle avait poussée le cœur lourd, les mains moites, les yeux larmoyants... Elle se souvint des quelques pas qu’elle avait esquissés dans la nuit et de ça... Oui de ça. D'une main lui agrippant le bras... Des battements de son cœur s'accélérant en une danse folle. De ça... Du bonheur, de la peur, de cette peur divinement bonne... D'une main possédant son avant-bras, tendrement... D'une autre se faisant amante de ses hanches, de ce baiser brisant un de ces silences qui ne s'oublie pas.

Alors, elle avait dit oui à tout... Tout ou rien mais avec lui. Au changement, à la peur. Oui à ce qu’elle ne connaissait pas. Oui à l'amour. Oui à cette nouvelle vie qui s'offrait à elle. Oui à ce qu’elle n’était pas. Oui à ce qu’elle aimerait être. Oui à l'inconnu.

Elle se souvint... De son corps contre le sien, de sa bouche à la commissure de ses lèvres. De la chaleur au creux de son ventre, de cette étreinte et de toutes les autres qui ont suivi... De son rire. De ces quelques minutes de silence qu’il avait fini par briser.

 Mouna Toujani




Mouna Toujani

Le coeur serré

                                                                                    






Ambre ne voulait pas le forcer, elle avait préféré attendre qu’il soit prêt !

Elle avait fait une grave erreur, elle aurait du tout lui avouer, ce n’est qu’après les dégâts que peuvent causer les secrets qu’on se rend compte qu’en un rien de temps, tout peut chavirer…

Les promesses s’étaient envolées, les « je t'aime » étaient devenus superflus, les marques d'affection des choses calculées, forcées... Ils avaient fini par se détester à s'en faire mal, à se détruire... Tout s'était effrité sous leurs yeux, surpris de voir que la difficulté pouvait les frapper, de voir qu’ils n’étaient à l'abri de rien... Ils avaient fini par faire l'amour parce qu’il aimait ça, parce qu’il en avait besoin ; ils avaient fini par jouer un double jeu, les silences à deux... Ils avaient fini par être une pâle copie de ce qu’ils redoutaient, et même avec une vie aussi remplie que celle de Robert, qui était devenue celle d’Ambre, la routine s'était installée... Et ils avaient sombré.

Ils auraient pu rester des années comme ça, à se mentir, à ne pas regarder la réalité en face et se bercer d'illusions ; elle pensait qu’ils auraient pu tenir toute une vie comme ça... Parce que malgré tout, ils s’aimaient, et avaient ce besoin constant l'un de l'autre... Ils s’aimaient bien plus encore sûrement,  que la situation dans laquelle ils étaient.

Et un soir, elle le vit s’approcher du lit, et fit semblant de dormir. Elle ressentait que ce qu’il  avait à lui dire était très important, et qu’un problème l’étouffait. Elle pouvait le ressentir. Inconsciemment, elle savait qu’elle le perdait, mais elle ne voulait en aucun cas l’entendre le lui dire.

Il n’avait pas dormi de la nuit ainsi que Ambre ! Elle l’entendit pleurer et elle n’avait pas la force de bouger, ses sanglots résonnaient dans sa tête ! Un appel, une prière pour qu’elle réagisse et qu’elle l’aide à se délivrer du poids qui le rongeait. Ambre, anéantie, s’en voulait de ne pas avoir eu ce courage : celui de le retenir… Car c’est bien ce qu’elle avait redouté, qu’un jour il lui dise qu’il fallait qu’il s’éloigne d’elle. Au fond, elle l’avait toujours su que cet instant arriverait… Mais elle avait toujours aussi su qu’il lui dirait qu’il reviendrait… Et ça, elle ne pouvait l’accepter… Chacun d’eux portait un secret en lui, ils n’avaient pas su en parler, la peur de se faire du mal, la crainte de devoir affronter le regard de l’autre, d’assumer ces choix… Et pourtant, ça les concernait tous les deux et leur vie commune.

Au levé du soleil, elle l’entendit préparer sa valise… Il s’attarda un peu dans la cuisine. Inquiète, elle se leva. Robert était assit tenant dans sa main une lettre qu’il referma. Et elle comprit que les mots écrits de la main de l’homme qu’elle aimait la plongeraient dans une tristesse à en mourir… Car ils ne pouvaient contenir que les vérités qu’elle se refusait d’admettre ! Elle retourna sans faire de bruit dans son lit. Recroquevillée, pleurant toutes les larmes que jusqu’à présent elle avait péniblement eu du mal à contenir.

Silencieusement, son ombre passa le pas de la porte...

Ce soir là, fut le dernier...

Elle s’entendit encore intérieurement crier, hurler, le suppliant de revenir… Mais pas un son n’avait pu sortir… Tous les mots étaient resté en elle. La lettre resta quelques heures sur la table de la cuisine où il l’avait déposée sans qu’elle puisse y toucher. La prenant dans ses mains tremblotantes, ses larmes avaient coulé, quelle ne fût pas sa peine en constatant le contenu : des excuses sans explications ! Juste de banals « je suis désolé, mais je dois gérer une autre partie de ma vie dont tu ne fais pas partie » et la phrase qui tue « je te reviendrai dès que j’aurais tout réglé ». Elle l’avait haï, elle l’avait maudit de l’aimer autant.

Et elle plongea dans la plus noire des périodes de sa vie, l’enfer, le dégoût de tout, l’envie de se foutre en l’air, pour elle tout s’était arrêté sauf ce besoin de le pleurer, pleurer sa vie et cette horrible nuit où, aujourd’hui, elle le regrettait de ne pas lui avoir tout dit.



Ambre ne dormait plus, ne mangeait plus, ne vivait plus ! Restant des heures dans le noir où, dans ces moments, il lui revenait en mémoire, en ayant ce mal de chien, ce mal qui est en nous et, quoi que l’on fasse, ne passe pas, ne guérit pas, ne s’oublie pas. Ces larmes versées dès qu’il venait dans ses pensées, ce besoin de lui, d’entendre sa voix, ces bruits de pas entendus en espérant à chaque fois que c’étaient les siens.
                                                                                                                                                                  Ils auraient dû parler… Elle se souvint de ce jour où les non-dits auraient du éclater, les reproches les gifler... De ce jour, où aucun mot n'avait pu embrassé leur bouche, où aucune larme n'avait lacéré leurs joues... De ce jour, où le silence avait pris possession d’eux… Elle se souvint de ce jour où la fin avait sonné… De ce moment qu’elle avait tant redouté, de ce fichu jour où il était parti sans se retourner... Elle s’en souvint, comme si c'était hier...

Elle se souvint bien plus encore de sa haine à la vue de ces quelques mots. De voir qu’il n'avait en aucun cas pris la peine de l'appeler après plusieurs semaines de silence, du peu de respect qu’il lui portait. Elle l’avait haï, de la traiter de la sorte...  Elle se détesta ce jour-là, elle se détesta pour tous ces espoirs qu’il avait formulés, pour ces sentiments si mal contrôlés, pour son côté naïf qu’elle avait, auparavant, réussi à maîtriser. Elle se détesta de l'aimer, alors qu’elle avait conclu un pacte avec son cœur et sa raison. Elle se détesta d'avoir perdu, d'avoir été si faible. Et ce jour-là, à cet instant précis, elle s’en voulu de l'avoir rencontré.

Elle n’avait pas vu les jours s’écoulaient, elle ne faisait que réfléchir, essayant de peser le pour et le contre, de faire de la situation quelque chose de comique, d'en rire, de n'en prendre que les bons côtés, de ne plus penser à ce qu’elle pouvait bien ressentir. Elle essayait de croire qu’elle pouvait lui résister ou mieux encore, que si elle décidait de le rejoindre, il ne lui aurait été en aucun difficile de contrôler l'amour qui avait pris possession d’elle. Qu’elle pouvait être plus forte, qu’elle valait bien mieux que cela, et que sa fierté lui donnerait la force de lui sourire, de taire ce qu’elle aurait désiré crier...

Elle eut tellement de regret, pour celui qu’il avait été jadis, pour ce qu’il avait fait naître en elle. Pour ce sourire, cette beauté presque aveuglante, pour ce corps et l'odeur qui s'en dégageait, pour ses mains au creux de ses reins, pour sa bouche contre la sienne, pour cette domination qu’il exerçait si bien sur elle. Cachant habilement l'amour derrière cette haine qu’elle s’était confectionnée. Elle s’était époumonée à croire qu’elle était bien plus forte que ce qui résidait en elle, qu’elle pouvait habilement tuer ces sentiments, ces sensations. Elle se pensait bien plus forte, bien moins amoureuse.                                                                                    

Mouna Toujani               


 
     
                                                                      

En Mémoire de Nous...


A lire avec cette musique :






Ce mois fut une sorte de défi pour Ambre, comprendre la grandeur de son amour, s'habituer à des sensations inconnues jusqu'alors, idolâtrant les larmes, le manque. Apprécier l'envie, la passion... Chérir ces flashs, ces moments de perte de contrôle. C'était une sorte de test, pour voir si, ce qu’elle ressentait n'était que passager ou bel et bien ancré en elle, pour voir si tout cela était indélébile ou si tout pouvait se déloger de son cœur, lentement, avec le temps...
                                                                                                                                                                
Elle ne ressentait plus rien, à part ses cris silencieux de désespoir... Et à chaque fois qu’elle franchissait le pas de la porte, en rentrant dans cet appartement encore imprégné de Robert, elle prenait conscience de tout ce qui venait de se produire, elle quittait le monde parallèle dans lequel elle était pour se retrouver dans la réalité, le vide, le rien... Le silence n'était plus d'or, elle entendait son cœur battre à tout rompre, elle ne sentait plus ses jambes, qui flageolaient. La respiration saccadée, les yeux embués... Son corps, son esprit, son cœur si lourd de tristesse. Elle avait mal à en mourir... Mal d'avoir perdu le Robert qu’elle aimait… Comment ont-ils pu en arriver là ? Un jour il lui faisait l'amour, l'autre il s’en va... Comment ? Pour quelles raisons, quelles sont les causes ? Ou avait-elle fauté ? se demanda-t-elle sans cesse.

Savait-il seulement ce qu’elle ressentait ? Avait-il la moindre idée de ce qui se tramait au fond d’elle ? De ce qui se cachait ou laisser dévoiler, de ce qui l'étouffait, de ce qui la rongeait ou bien encore de ce qui la brûlait au point de vouloir hurler ? Savait-il ce que c'était d'aimer aussi férocement, de se persuader que ce n'était rien, que tout pouvait s'évanouir aussi facilement que s'était apparu, de finir par apprivoiser la tristesse, commençant à l'aimer elle aussi. Savait-il à quel point elle l’avait aimé ? Et à quel point tout cela était si difficile...

Lorsque son nom effleurait ses lèvres ou encore son esprit, lorsqu’elle ne contrôlait plus rien et qu’il lui apparaissait distinctement ? Ce combat incessant que ses sentiments l'obligeaient à entreprendre, la peur de ne plus jamais se reconnaître, de finir par s'habituer à la perte, au manque et désirer que tout cela ne cesse jamais.

Elle aimait la douleur autant qu’elle avait aimé sa bouche, elle aimait la tristesse avec autant de passion que ses mains sur son corps, le manque tout aussi tendrement que ses mots au creux de son oreille, les larmes aussi délicieusement que son odeur. Elle aimait tout ce qui lui rappelait Robert, oubliant à quel point tout ça lui était insupportable. Elle aimait souffrir, et voir apparaître quelques plaies sur son cœur signe que cela persistait, signe que le temps n'effaçait rien. Que l'amour pouvait prendre de l'ampleur au fil des années, que le temps n'était pas synonyme d'oubli. Signe que son cœur battait encore, et qu’elle était bel et bien en vie.

Elle aimait ce monde qu’elle s’était créé, elle aimait cette tristesse qui prenait poussière, qui lui faisait faux bond parfois, qui revenait avec force souvent ; qui la surprenait, la heurtait jusqu'à lui en couper le souffle. Elle idolâtrait cette faculté qui lui était donnée de ne faire que penser à lui, occulter tout ce qui l'entourait, de ne se concentrer que sur ce qui lui rappelait douloureusement Robert, elle aimait lorsque son cœur se serrait signe qu’elle souffrait, lorsque des larmes naissaient sans crier gare, la stupeur de se savoir folle, l'étonnement de le voir aussi nettement chaque jour.

Elle aimait l’aimer en silence. Avec une facilité déconcertante. L'aimer comme elle le respirait, comme elle s'en alimentait... Sans s'en apercevoir. L'aimer et s'étonner de l’aimer encore. Aimer le temps et ce qu'il n'effaçait pas. Elle vouait un culte à tout ce qui la ramenait à lui, tout autant qu’elle détestait tout ce qui lui rappelait douloureusement que le temps ne faisait pas son œuvre laissant un arrière goût de fin.

Elle l’aimait comme on aime qu'une fois, se sachant incapable de ressentir à nouveau ce genre de sentiment qui l’épuisait, la maltraitait et la laissait lasse. Pourrait-elle aimer encore ? Simplement. Sans violence ni souffrance. Serait-elle encore capable de laisser son cœur s'ouvrir, montrer à un autre les séquelles d'une vie à ses côtés, d'une autre à l'aimer ? Pourrait-elle aimer sans chercher à souffrir ? Aurait-elle un jour envie que tout cela cesse et que, malgré cette fin, et qu’elle ne ressentait plus ce douloureux sentiment d'appartenir encore à quelqu'un ?

Est-ce que tout cela finira-t-il un jour ? Elle aimait l’aimer, avec le temps, encore maintenant. Elle aimait ne pas savoir de quoi demain sera fait, haïr ces moments de doutes autant qu’elle les chérissait lorsqu'ils la ramenaient à lui.

Et le pire dans tout cela, ce n'était pas de le perdre, lui,  ni de vivre sans Robert, ni même encore d'apprivoiser une douleur à la hauteur de son amour, non, ce n'était pas ça... Le pire dans tout cela, c'était de ne plus se reconnaître. Elle aurait pu se contenter d'apprécier le fait qu'avec elle, il ait pris conscience de la vie, de l'importance de l'amour et bien plus de la valeur des femmes, elle aurait pu se satisfaire du simple fait que pour elle, il ait changé et que malgré les années, malgré la fin, le commencement d'autre chose, il serait resté le même, en hommage à leur amour et peut-être, prétentieusement sûrement, en hommage à elle. Elle aurait pu se contenter de ça, d'avoir été un des piliers marquants de sa vie, mais à présent... Tout s'était effacé, s’était transformé, et tout ne devint que poussière...

Il ne restait plus rien…

Elle aurait sûrement accepté de tout perdre, de s'abandonner dans les tréfonds d'une vie aucunement faite pour elle, reléguer au second plan celle qu’elle était, sa carrière, certaines envies. Elle aurait sûrement pu tout accepter, laisser tout de côté pour que leur couple tienne, pour que rien ne s'effondre sous le poids du silence, du mensonge, de la gêne, de l'amour. Consolider ce qu’ils étaient, ne s'astreindre qu'à cela, solidifier leur couple, tenir bon pour deux, y croire jusqu'à s'oublier soi-même. Ne vivre que pour eux, simplement et uniquement pour eux. Devenir la force incarnée, se battre à en perdre son souffle, à en mourir d'épuisement. Elle aurait sûrement pu accepter de n'être que la colle cicatrisant leurs cœurs meurtris, occulter ce qu’elle était jusqu'à n’en plus connaître son prénom et la personne qui la définissait. Elle aurait sûrement pu le faire indéfiniment, jusqu'à ce qu’il brise de nouveau ce qu’elle avait mis un temps fou à solidifier, elle aurait pu tenir bon plus longtemps... Trop longtemps.

Mouna Toujani



Roman " En mémoire de nous "

A lire avec cette musique:







13 Juillet 1990

Cher Robert,

Est-ce que tu as connu la sensation, cette sensation de ne pas mériter tout ce que tu as autour de toi ? D'être dans un incessant combat entre ton cœur et ton corps, de ne rien voir, comme si le monde semble tourner sans toi. De n'être que le pantin de la vie. Inspirer, expirer inconsciemment. Perdre peu à peu la notion des mots, des gestes. Vivre, survivre comme si tout ne tenait qu'à un fil. Vivre aveuglement et indéniablement, ne pas mériter cette vie qu'on nous offre. Oui, Bruno fait les choses bien... Pour qui ? Pour quoi ? Pour moi ? Et si je ne méritais que l'indifférence ? Et si je n'étais qu'un poids lui faisant courber l'échine ? Bruno (l’homme qui partage actuellement ma vie) fait les choses bien, un peu trop sans doute.

M’en voudrais-tu si je te disais, que je remplacerai volontiers l'amour par la haine, juste une seconde, pour voir l'effet que cela procure, pour pouvoir être enfin en paix, voir les regrets s'effacer, les souvenirs se détruire, pour me sentir plus légère. M'en voudrais-tu vraiment Robert, si je te dis que j'aurais aimé te haïr et que chaque jour je m'efforce de le faire ? Pour que cela devienne une habitude...

Tu aurais dû être avec moi aujourd'hui. Me soutenir, calmer mon anxiété, être heureux, fier. Tu aurais dû être là Robert. Parce que tu étais censé m'aimer au-delà de tout, au-delà des conventions, des différences, des interdits. Au-delà de la souffrance, de la distance. Au-delà même de ce que nous sommes. Parce que tu l'avais promis, parce que ça devait être que toi.

Uniquement toi. Parce que tu étais censé rester là Robert, juste à côté de moi... Tu étais censé ne jamais me quitter. J'en ai la gerbe Robert et je te déteste... Oui je te hais. Pour les promesses se réduisant en cendres au fur et à mesure des années, pour la solitude, pour ton soi-disant amour, pour ce jour où je t’ai laissé partir. Je te déteste pour m'avoir obligée à vivre cette vie, incapable d'affronter ce que je suis et l'amour si dévastateur qui est le tien. Je te déteste... Bien plus que je ne t'aime Robert.

Tout ça est si pathétique. Tout ça m'écœure, m'offense, m'essouffle, m'épuise. Je n'en plus de devoir être ce que je ne suis pas, de devoir ranger tout ce qui me rappelle nous de peur d'être dévastée, de devoir regarder devant moi faute de ne pouvoir parler du passé en souriant. Je n'en peux plus Robert, de t'aimer à en mourir, de me croire capable du contraire, de m'en persuader jusqu'à en devenir heureuse. Tout ça me donne la gerbe et l'envie de baisser les bras se fait bien plus tentante. J'aimerais seulement vivre, et pouvoir regarder Bruno droit dans les yeux et lui affirmer qu'il n'y a plus que lui. Je ne peux plus supporter ce combat, ces souvenirs et tout ce qui va avec... Tout ça est si pathétique Robert.

Mais je m’accrocherai à la deuxième vie que je mène, ce que les autres appellent renaissance mais que je nommerais plutôt extinction, je m'obligerai à vivre, aimer pour que les jours passent plus vite, pour que la fin se fasse plus proche, plus rapidement, moins douloureusement.

Alors dorénavant, je jouerai un rôle pour cacher la gêne, le manque, le cri de mon cœur qui se fait bien plus fort de jour en jour. Pour cacher tout ce que j’ai été et que je n’aurais pas du être... Je tuerai les doutes et tout ce qui compose la douleur qui m'assaille. Je jouerai le rôle de ma vie, j'empêcherai les insultes de naître, l'envie de déguerpir de se décupler, celle de tout détruire se retiendra derrière un sourire de façade, parce que je dois le faire pour moi, pour lui.

Parce que c'est ce qui me permettra de ranger le livre de notre vie et de le rendre ordinaire, qu'il devienne comme les autres avec le temps, simplement rangé dans la bibliothèque de mes songes, n'ayant aucune place significative de l'importance qu'il a eu lors de sa rédaction... Ce soir, sera le soir que j'attends depuis près de quatre ans. Le soir où tu as écrit le mot fin toujours par obligation, et je le ferai d'une encre indélébile, d'une envie que rien ne pourra balayer... J’ai le droit Robert, d'espérer que ce soit également la fin de tout ce que j'ai enduré...


Cela fait bien longtemps que je me suis résignée... Bien longtemps que je t’ai laissé être le centre de mon monde, prendre entièrement possession de moi. J'ai acceptée d'être faible face à toi, je me suis résolue à te laisser parcourir chaque infime recoin de mon esprit, de mon corps et bien plus encore de mon cœur. Je me suis résignée à ne plus être maître de mon destin, à n'être guidée que par toi... Je me suis résolue à laisser derrière moi l'ancienne Ambre... Et aussi dur que ça sera, j'apprendrai à vivre avec cette autre moi que tu as fait naître...  J'accepte Robert... Par obligation, par abdication...

Un rayon de soleil, une averse, une rafale de vent, une légère brise, une traînée blanchâtre... Peu importe le temps, peu importe le lieu, le jour ou même encore l'heure... Peu importe la vie, le passé, le présent ou même encore l'avenir, peu importe... Chaque jour est-le même, perpétuellement, incessamment... J'apprendrai à vivre sans toi, à retenir mes larmes, à en aimer un autre, à me laisser de nouveau approcher... J'apprendrai à utiliser mon cœur de nouveau, à le laisser battre pour un autre, à ne plus crier ton nom, à apprivoiser mes cauchemars, à aimer mes maux, ma souffrance, ma tristesse... A apprécier la vie et ce qu'elle offre... Comme une veuve qui a perdu l'homme de sa vie, j'apprendrai à vivre...

Tu sais Robert, il a mis du temps avant de faire partie de ma vie... Il m'a laissée pleurer des jours entiers sans réellement comprendre, lui faire l'amour avec domination sans aucune condition, il m'a laissée dans ma solitude certains jours, m'a fait rire d'autres... Il a été là sans l'être vraiment... Attendant, patientant, compatissant ! Il m'a aimée en silence... En ne demandant rien. Et puis l'inévitable est arrivé, je t'ai reconnu en lui, j'ai entr'aperçu ton ombre dans son regard, frôlé un corps qui me rappelait vaguement le tien, j'ai fait abstraction de nos souvenirs pour laisser place à de nouveaux... L'inévitable est arrivé, il s'est immiscé dans ma vie, lentement... Je l'ai laissé m'aimer, me montrer que je n'étais pas une carapace d'os et de chair sans vie, que je valais le coup... Il n'a rien promis, fait aucun projet... Il me savait trop faible encore, pour me promettre toutes ces choses que tu as dites... L'inévitable s'est produit Robert, il a habité ces lieux si vides de toi... Simplement, sans brusqueries, je l'ai aimé...



Tu l'aurais adoré Robert, vraiment... Il est d'une drôlerie, farceur, taquin; très professionnel, bien trop bosseur à mon goût, il a le vœu de réussir et tente le tout pour le tout; il aime la musique, ces vieux tubes que tu chéris aussi. Il est fier, un peu trop parfois tout comme toi, il aime la vie et tout ce qu'elle lui apporte... Bien plus encore il m'aime... Comme toi tu l'as fait à nos débuts ! Tu l'aurais adoré Robert... Car en tout point semblable à toi ! T'aimer à travers lui me semble le remède parfait... Pourtant tu disparais... De mes pensées, de mes rêves, de mes cauchemars, le trou béant se referme... Il t'efface de ses je t'aime, de ses caresses, de ses baisers... Il t'efface, avec mon consentement, lentement, sans effusion... Il t'efface, notre passé avec...
                                                                                                                                                                                     Ambre

Après une centaine de mètre, elle revint sur ses pas. Ce besoin violent et incontrôlable de savoir où il vivait et dans quelle circonstance. Elle le vit monter sur sa moto. Ambre héla un taxi au même moment, et demanda au chauffeur de le suivre. Trente minutes plus tard, il s’arrêta devant une grande villa dans le Vésinet. Un enfant jouait dans leur grand jardin… Une femme était allongée sur une chaise longue près d’une grande piscine. Un chapeau cachait son visage, mais elle paraissait si belle, même vu de loin.

Elle  vit son enfant se précipiter en courant dans les bras de son père, sa femme à son tour se leva pour les rejoindre, l’embrassant sur la joue… Ce fut à son bras que tous les trois rentrèrent chez eux !

Une belle petite famille, non celle qu’elle s’était maintes fois imaginée… À présent, elle pouvait mettre des images sur les personnages qui avaient hanté sa vie. Elle resta encore un peu, regardant cette maison, perdant la notion du temps, le ciel se couvrit, un orage éclata et il commençait à pleuvoir à torrent…

Elle ressentit tellement de remords à l’égard de cette femme, dont elle avait volé le mari que cette pensée même lui donna des nausées. Elle sortit en courant de la voiture pour vomir sur le bas-côté, quand une voix la fit sursauter !

- Vous allez bien Madame ? demanda le chauffeur.

Adossée à un poteau, toute mouillée par cette rafale de pluie,  elle releva la tête et, elle le vit et il la vit. Il tenait le ballon de son fils dans ses mains. Probablement sorti le chercher. Leurs regards se croisèrent et s’en disaient long… Elle le vit venir vers elle, et elle se précipita vers le taxi, bien avant qu’il ne fût à sa hauteur,  Elle demanda au chauffeur de vite démarrer.

Se retournant, elle le vit courir en criant son prénom, elle caressa à son tour le pare-brise de ses doigts comme si elle caressait son visage, puis sa silhouette avait disparue petit à petit.

Durant tout le trajet, elle s’effondra en larmes… Une partie d’elle est morte ce soir-là. Elle était revenu au point de départ : il ne savait rien pour leur fils mais elle, elle savait tout ce qu’elle devait savoir ! Et elle sut, que plus rien ne serait plus comme avant ayant vu les conditions dans lesquelles il vivait…

Et la vie a repris son cours.



Ambre avait le coeur plein de regrets, d'amertume et d'incompréhension. Le cœur lourd d'envie de lui crier qu’elle n’avait fait que ce qu'il était de son devoir de faire, qu’elle n’avait agi ainsi que pour se préserver... Elle aurait aimé avoir raison, et qu'il n'y avait plus que cela à faire. Qu’elle n’avait fait que combattre, pour s’obliger à n'être que chimère pour qu’ils arrêtent de détruire le passé avec un présent bien trop laid, bien trop immonde.

Les images, les sensations, les larmes, les sourires forcés, l'incapacité de revenir en arrière auraient dû disparaître... Son cœur, et bien plus encore son esprit, avaient pour devoir de s’habituer maintenant. Elle n’aurait pas du avoir à affronter ça, ce jour et ce qui en avait découlé, elle ne devait pas avoir à y repenser sans cesse lorsque les souvenirs d'un passé heureux venaient l'enlacer. Il n’aurait du rester que le bon, la fin de quelque chose qui fût merveilleux, ce jour-là aurait dû disparaître avec les mauvais jours, les larmes, les pleurs, cette gifle, la tromperie et bien plus encore avec ce Robert qu’elle ne reconnaissait pas, cette Ambre qu’il l’avait obligée à être.

Tout aurait dû disparaître, mais il persistait, son souvenir persistait, voulant à tout prix être le plus fort, prendre de la place jusqu'à faire suffoquer les démons qui s'emparaient d’elle, chaque infime seconde de chaque jour. De ce corps et de chaque infime courbe qui le définissait. De la douleur assaillant son cœur à son contact.

Parce que les sentiments étaient là, encore et toujours, logeant entre la haine et le désespoir. Oui les sentiments étaient là, cachés, patientant tant bien que mal. Parce que ce fut trop tôt, bien trop tôt... Ca n’aurait pas du se passer ainsi…

                                                                                                                                                                        
Mouna Toujani

Regrets silencieux

A lire avec cette musique:

  







Hier soir, elle s’était vu tout détruire, elle s’était vu devenir une autre personne, la haine était si grande, son emprise si enivrante... Hier soir, elle crut que son monde s'effondrait, que tout allait disparaître, elle avec... Hier soir, elle avait perdu confiance, l'envie, la force... Elle avait perdu tout ce qui la définissait... En une fraction de seconde, en à peine une fraction de seconde, elle s’était  perdue...

Pourtant...

Assise sur la terrasse, tentant de ne pas réfléchir, se laissant enivrer par la fraîcheur de l'air, appréciant la nicotine qui faisait corps avec elle... Ambre reprenait son souffle, apprivoisait son anxiété qui faisait de sa tristesse une amie...

La ville était endormie, à défaut de ce corps sans vie, de cet esprit alerte... La ville était endormie, à défaut d’elle qui ne trouve une fois de plus pas le sommeil... Soudain, le bruit du téléphone se fit entendre.
C’était Martine :
- Allo ?
- Ambre? C'est moi...
Elles n’avaient pas besoin de long discours, ni de grandes phrases toutes aussi barbantes les unes que les autres... A contrario de communiquer par le regard, le silence était de mise. Et Dieu sait qu’Ambre aimait ces silences, ces silences si éloquents, si précieux, si dévastateurs, si puissants... La ville est endormie à défaut d’Ambre, mais bien plus encore à défaut de Martine...
- Que j’aime entendre cette voix.
- Je n’arrivais pas à trouver le sommeil, chuchota Martine. Je m’inquiète tellement pour toi…
- Je ne dormais pas non plus…
Elle était le seul lien qui les unissait encore, la seule qui avait su rester dans sa vie, celle qui lui parlait de Robert, celle qui comblait les silences quand elle ne trouvait plus rien à dire, qui la rattachait à la vie, qui prenait le soin d'effacer les mensonges, de crier la vérité sans prononcer son nom, sans rentrer dans les détails... Elle avait été celle qui lui avait annoncée les coups durs qu’elle devait affronter. Elle était le rocher sur lequel elle se reposait lors de terribles tempêtes...
- Ambre, tu es toujours la ?
- Oui.
- Je passerai vous voir bientôt.
- Je t’aime.
- Moi aussi, Ambre… moi aussi, souffla-t-elle avant de raccrocher.
                                                                                                                                                                  
Cette nuit là, Ambre se demandait si Robert connaissait ce vœu immuable, ce vœu bien trop puissant, ce cri aigu d'une envie, cette sensation bien trop dévorante au creux de son échine ? Connaissait-il ce vœu de revivre ces moments d'extase, de transe, ces moments qu’on chérit d'une telle force, ces moments où la joie parcourait si violemment nôtre corps tout entier... Connaissait-il.. Ce désir de revenir en arrière, de stopper la course effrénée d'un présent pour replonger dans un passé. Connaissait-il, cette envie que rien ne peut combler ? Ambre la connaissait bien trop, elle connaissait bien trop cette force qui nous propulse dans les plus infimes recoins de nôtre esprit, à la recherche d'un souvenir, d'un bout de quelque chose qui fut jadis une réalité... Elle connaissait bien trop ça... Bien trop fort…

C'est fou comme l'air lui paraissait différent, comme les gens lui paraissaient sans vie... C'est fou comme, elle se sentait troublée, frêle, tremblotante... Ce n'était que la fin de quelque chose, l'acceptation de la fin de ce quelque chose qu’elle n'osait prononcer, ce n'était qu'une rencontre parmi tant d'autres, ce n'était qu'une vie... Sans lui, avec lui, près de lui, loin de lui...

Mouna Toujani
Mouna Toujani

Extrait de mon Roman " En mémoire de nous "

A lire avec cette musique :



Les étoiles brillaient dans le ciel sombre. Ambre essaya de trouver le sommeil, mais en vain. A ses côtés Bruno dormait paisiblement. Craignant de le réveiller par ses maintes agitations, elle décida de quitter le lit. Posa ses lèvres quelques secondes sur son épaule nue, lui caressant les cheveux, puis elle enfila un court peignoir blanc qui traînait à ses pieds. Attrapa son paquet de cigarettes sur le bureau, se plaça devant la fenêtre, alluma le rouleau et se mit à scruter l’extérieur, songeuse. Elle savait que le temps était venu de tout lui dire. Elle se sentait prête. Et elle le fera le matin venu, pensa-t-elle. Espérant ne plus sentir ce poids qui pesait sur sa vie. Ses yeux se posèrent sur lui, il semblait serein, paisible en paix.
Il devait être près de midi quand enfin elle ouvrit les yeux. Sa nuit fut longue et ce n’est qu’au levé du soleil qu’enfin elle avait pu fermer les yeux. Bruno avait déjà pris le petit déjeuner sur la terrasse et parut content de la voir arriver en baillant.
- C’est la première que tu te lèves aussi tard, lança-t-il avec un large sourire.
- Bruno, il faut que je te parle…
- Oui, bien sur ma puce, je nous prépare juste un verre et te rejoins !
Il ne lui avait jamais vraiment posé de question sur sa vie, son passé ou qui était le père d’Aaron, il savait être discret et surtout il avait toujours respecté ses silences. Il s’installa face à elle et lui tendit un café en lui disant :
- Je suis tout à toi.
Ambre prit une grande respiration et dans un murmure lança :
- Te rappelles-tu, le soir où nous étions chez Martine de l’homme qui est passé la voir ?
- Tu parles du type, comment s’appelle-t-il déjà ?
- Robert ! C’est le père de notre petit Aaron !
Elle lâcha cette nouvelle si brutalement, qu’elle put constater, qu’il était sous le choc. Il ne disait rien, juste un regard surpris, au bout de quelques minutes, il répondit juste :
- Comment as-tu pu me cacher une chose aussi importante ?
- Je suis désolée…
- C’est moi qui le suis, pour t’avoir fait confiance alors que tu ne la méritais pas !
- Je t’en prie ne parle pas ainsi…
- J’ai aimé cet enfant comme le mien ! Je t’ai aimé, toi, parce que j’ai toujours pensé que tu étais la femme de mes rêves, la femme parfaite, la femme la plus honnête que j’ai pu jusque-là rencontrer dans ma vie, et là, j’apprends que nous avons bâti une vie de couple basée sur des mensonges et ça depuis le premier jour ?
- Je ne t’ai pas menti, j’ai juste enterré une partie de ma vie, que je ne voulais en aucun cas déterré ! Je sais que tu es déçu et blessé, mais sache que tu es la dernière personne au monde à qui je voudrais faire du mal.
- Sait-il qu’il a un fils ?
- Non ! Il m’avait quitté avant que je ne puisse le lui dire. Et je n’ai pas trouvé l’utilité de le faire par la suite ! À cette époque, il était marié, nous étions follement amoureux l’un de l’autre, puis un jour sans aucune explication, il est parti !
- Tu étais enceinte de combien de mois ?
- De quelques semaines !
- Qui est au courant de cette histoire ?
- Il n’y a que Martine… Et toi maintenant, répondit-elle tristement.
- Ça a dû être très dur… Tu as une énorme force en toi, mais je ne sais pas si le fait d’avoir dévoilé tout ça va pouvoir alléger tes souffrances maintenant… Ils ont le droit de savoir ce secret. Je parle de cet homme et d’Aaron…
- J’ai essayé, mais le moment n’a jamais été le bon, puis à quoi ça servirait aujourd’hui ? Le mal est fait !
- À réparer tes erreurs ! rajouta-t-il en la regardant froidement. Tu nous as à tous menti, tous ceux qui croyaient en toi, en qui nous avions tant d’admiration, tu as été un modèle pour moi durant des années, je ne cautionne pas ton geste, et pour la première fois depuis que l’on se connaît… Je ne te suivrai pas dans ta façon d’agir, tu devrais réfléchir aux conséquences que ça apporterait : si, un jour, ils en venaient à le découvrir !

Au fur et à mesure qu’il parlait, elle découvrit un nouvel aspect de l’homme qui avait été jusqu’ici le plus doux, le plus compréhensif et le plus respectif à son égard, elle ne pu retenir ses larmes si longtemps retenues. Il se leva, et lui dit avec une voix plus tendre :

- Je suis désolé, mais j’ai besoin de m’éloigner, de repenser à ce que tu viens de me dire, le plus calmement du monde, je ne veux pas faire de jugement ni même me mettre en colère contre toi, le mieux est que je parte quelques jours.
- Je t’en supplie ne me fais pas ça, reste s’il te plait…
- Je ne pense pas que ce soit une bonne solution, le fait de partir ne veut en aucun cas dire que je vais te quitter ! Enlève-toi cette idée de la tête, rassure-toi, je t’aime bien plus que tu ne l’imagines !

Ils avaient parlé pendant une heure, ou plutôt Bruno avait parlé et elle avait écouté.  Elle avait écouté parce qu’elle avait besoin de ces moments là, ces moments où, contrairement aux autres, il lui disait réellement ce qu'il pensait, il ne passait pas par quatre chemins, il ne cherchait pas à l’attendrir, ou à lui trouver des excuses, il ne faisait que dire ce qu'il  pensait et dans le monde où ils vivaient la sincérité ne faisait pas de mal... Et il était surtout le seul à ne pas lui donner de conseils, et la laisser faire comme bon lui semblait, il ne lui faisait pas la morale... Non, Bruno lui donnait son avis et c'était ensuite à elle d'aviser... Elle avait  besoin de ça, et surtout de faire le point.

Accoudé à la rambarde de la terrasse, fumant une de ces cigarettes qui l'apaisaient, les yeux dans le vague à ressasser le passé. Elle tirait une dernière taffe, écrasa sa cigarette et rentra dans ma chambre lui écrire… Parce que comme toujours… elle en ressentait le besoin.


4 Février 1994

Cher Robert,

Aujourd’hui,

j’ai tout dit à Bruno… Et je n’ai pas arrêté de me remémorer ce qu’il m’avait dit, ses mots résonnent encore moi, je sais qu’il a raison, et je sais aussi au fond de moi que j’ai été égoïste, que nôtre histoire, je l’ai gardée pour moi toute seule, je ne voulais la partager avec personne. Il n’est jamais facile de se rendre compte qu’on a pu faire autant de mal, quelle différence entre moi et toi qui, toi aussi, avait caché des secrets à ta famille ? Inconsciemment nous avons voulu protéger ce qu’on éprouvait l’un pour l’autre secrètement !

Il n'a pas dormi ici, il m'a simplement laissé un mot que j'ai retrouvé en rentrant, un mot voulant tout dire... Tu sais, je crois qu'il a senti que cette soirée serait le tournant d'une vie, la mienne, la sienne, la nôtre. Il était conscient de perdre une osmose, une connivence qu'il a mis des mois à fait naître, une femme amoureuse... Il se savait perdant et son mot n'est que la preuve qu'il accepte qu'un autre dirige la partie, le fasse gagner ou perdre, lui donne tout ou rien... Il a accepté que tu contrôles notre vie, notre couple... Il a accepté...


Son mot :
« Cette nuit sans moi t'aidera à faire le point... Je reviendrai dès que j’aurais les idées plus claires » En espérant retrouver ma Ambre. »

Tendrement Bruno.

Je n'ai pas vraiment dormi, entre somnolence et réflexion ; j'ai essayé vainement de me faire à l'idée, d'apprécier la réalité et ne plus follement aimer mon passé, j'ai tenté de ne voir que le bon côté, de mettre le mot fin sur notre histoire, de la conjuguer au passé, de fermer le livre et de simplement chérir son existence. J'ai voulu écrire une nouvelle page de ma vie, mettre son nom puis le mien et nous laisser le temps de s'aimer à en perdre la tête, j'ai pleuré l'être que je suis, trop peu reconnaissante de son amour, trop peu satisfaite de sa vie et des choses que j’ai vécues. J'ai détesté cette petite égoïste que je suis, je m'en suis voulu de lui avoir fait subir ça. Je m'en suis voulu de ne pas lui avoir parlé de toi, de ne pas lui avoir expliqué qui tu es, ni même ce que nous avons vécu, je m'en suis voulu d'avoir fait l'impasse sur toi, rien que pour vivre tranquillement dans ma tristesse. Je m'en veux encore, de n'avoir pensé qu'à moi, qu'à toi mais si peu à lui...

Je t’avoue que j’ai essayé de trouver une alternative, un remède, une infime chose qui pourrait apaiser la souffrance, tenter de me consoler, d'apprivoiser le manque, la solitude. Chercher de vaines excuses, apprendre à vivre, estropiée, handicapée, souffrante, asphyxiée... En aimer un autre et vivre dans un présent, fade, triste, si peu passionnel, ennuyeux... Mais vivre, vivre et mentir, mentir et aimer, aimer et haïr. N'être que le contraire de ce que je suis, et vivre... Pour lui, pour moi. Pour ce que je ne suis pas, ce que j'étais... Ce que j'aimerais être. Mais stopper la course effrénée des ces souvenirs, d'un passé douloureusement bon, arrêter les regrets, la recherche excitante d'un être, acteur d'un passé révolu, ombre d'un présent bel et bien existant...Et vivre... Sans se retourner, sans chercher à comprendre, ni même partir à la recherche de causes. Vivre sans en demander trop, se contenter du peu, de l'acceptable. Et l'aimer lui. Bien moins, bien plus mal, bien plus normalement que je ne t'ai aimé toi. Mais l'aimer lui, seul lien me rattachant à la réalité, seule personne m'empêchant de sombrer.

 Mouna Toujani