A lire avec cette musique:
13 Juillet 1990
Cher Robert,
Est-ce que tu as connu la sensation, cette sensation de ne pas
mériter tout ce que tu as autour de toi ? D'être dans un incessant combat entre
ton cœur et ton corps, de ne rien voir, comme si le monde semble tourner sans
toi. De n'être que le pantin de la vie. Inspirer, expirer inconsciemment.
Perdre peu à peu la notion des mots, des gestes. Vivre, survivre comme si tout
ne tenait qu'à un fil. Vivre aveuglement et indéniablement, ne pas mériter
cette vie qu'on nous offre. Oui, Bruno fait les choses bien... Pour qui ? Pour
quoi ? Pour moi ? Et si je ne méritais que l'indifférence ? Et si je n'étais
qu'un poids lui faisant courber l'échine ? Bruno (l’homme qui partage
actuellement ma vie) fait les choses bien, un peu trop sans doute.
M’en voudrais-tu si je te disais, que je remplacerai
volontiers l'amour par la haine, juste une seconde, pour voir l'effet que cela
procure, pour pouvoir être enfin en paix, voir les regrets s'effacer, les
souvenirs se détruire, pour me sentir plus légère. M'en voudrais-tu vraiment
Robert, si je te dis que j'aurais aimé te haïr et que chaque jour je m'efforce
de le faire ? Pour que cela devienne une habitude...
Tu aurais dû être avec moi aujourd'hui. Me soutenir, calmer
mon anxiété, être heureux, fier. Tu aurais dû être là Robert. Parce que tu
étais censé m'aimer au-delà de tout, au-delà des conventions, des différences,
des interdits. Au-delà de la souffrance, de la distance. Au-delà même de ce que
nous sommes. Parce que tu l'avais promis, parce que ça devait être que toi.
Uniquement toi. Parce que tu étais censé rester là Robert,
juste à côté de moi... Tu étais censé ne jamais me quitter. J'en ai la gerbe
Robert et je te déteste... Oui je te hais. Pour les promesses se réduisant en
cendres au fur et à mesure des années, pour la solitude, pour ton soi-disant
amour, pour ce jour où je t’ai laissé partir. Je te déteste pour m'avoir
obligée à vivre cette vie, incapable d'affronter ce que je suis et l'amour si
dévastateur qui est le tien. Je te déteste... Bien plus que je ne t'aime
Robert.
Tout ça est si pathétique. Tout ça m'écœure, m'offense,
m'essouffle, m'épuise. Je n'en plus de devoir être ce que je ne suis pas, de
devoir ranger tout ce qui me rappelle nous de peur d'être dévastée, de devoir
regarder devant moi faute de ne pouvoir parler du passé en souriant. Je n'en
peux plus Robert, de t'aimer à en mourir, de me croire capable du contraire, de
m'en persuader jusqu'à en devenir heureuse. Tout ça me donne la gerbe et
l'envie de baisser les bras se fait bien plus tentante. J'aimerais seulement
vivre, et pouvoir regarder Bruno droit dans les yeux et lui affirmer qu'il n'y
a plus que lui. Je ne peux plus supporter ce combat, ces souvenirs et tout ce
qui va avec... Tout ça est si pathétique Robert.
Mais je m’accrocherai à la deuxième vie que je mène, ce que
les autres appellent renaissance mais que je nommerais plutôt extinction, je
m'obligerai à vivre, aimer pour que les jours passent plus vite, pour que la
fin se fasse plus proche, plus rapidement, moins douloureusement.
Alors dorénavant, je jouerai un rôle pour cacher la gêne, le
manque, le cri de mon cœur qui se fait bien plus fort de jour en jour. Pour
cacher tout ce que j’ai été et que je n’aurais pas du être... Je tuerai les
doutes et tout ce qui compose la douleur qui m'assaille. Je jouerai le rôle de
ma vie, j'empêcherai les insultes de naître, l'envie de déguerpir de se
décupler, celle de tout détruire se retiendra derrière un sourire de façade,
parce que je dois le faire pour moi, pour lui.
Parce que c'est ce qui me permettra de ranger le livre de
notre vie et de le rendre ordinaire, qu'il devienne comme les autres avec le
temps, simplement rangé dans la bibliothèque de mes songes, n'ayant aucune
place significative de l'importance qu'il a eu lors de sa rédaction... Ce soir,
sera le soir que j'attends depuis près de quatre ans. Le soir où tu as écrit le
mot fin toujours par obligation, et je le ferai d'une encre indélébile, d'une
envie que rien ne pourra balayer... J’ai le droit Robert, d'espérer que ce soit
également la fin de tout ce que j'ai enduré...
Cela fait bien longtemps que je me suis résignée... Bien
longtemps que je t’ai laissé être le centre de mon monde, prendre entièrement
possession de moi. J'ai acceptée d'être faible face à toi, je me suis résolue à
te laisser parcourir chaque infime recoin de mon esprit, de mon corps et bien
plus encore de mon cœur. Je me suis résignée à ne plus être maître de mon
destin, à n'être guidée que par toi... Je me suis résolue à laisser derrière
moi l'ancienne Ambre... Et aussi dur que ça sera, j'apprendrai à vivre avec
cette autre moi que tu as fait naître... J'accepte Robert... Par
obligation, par abdication...
Un rayon de soleil, une averse, une rafale de vent, une
légère brise, une traînée blanchâtre... Peu importe le temps, peu importe le
lieu, le jour ou même encore l'heure... Peu importe la vie, le passé, le
présent ou même encore l'avenir, peu importe... Chaque jour est-le même,
perpétuellement, incessamment... J'apprendrai à vivre sans toi, à retenir mes
larmes, à en aimer un autre, à me laisser de nouveau approcher... J'apprendrai
à utiliser mon cœur de nouveau, à le laisser battre pour un autre, à ne plus
crier ton nom, à apprivoiser mes cauchemars, à aimer mes maux, ma souffrance,
ma tristesse... A apprécier la vie et ce qu'elle offre... Comme une veuve qui a
perdu l'homme de sa vie, j'apprendrai à vivre...
Tu sais Robert, il a mis du temps avant de faire partie de ma vie... Il m'a
laissée pleurer des jours entiers sans réellement comprendre, lui faire l'amour
avec domination sans aucune condition, il m'a laissée dans ma solitude certains
jours, m'a fait rire d'autres... Il a été là sans l'être vraiment... Attendant,
patientant, compatissant ! Il m'a aimée en silence... En ne demandant rien. Et
puis l'inévitable est arrivé, je t'ai reconnu en lui, j'ai entr'aperçu ton
ombre dans son regard, frôlé un corps qui me rappelait vaguement le tien, j'ai
fait abstraction de nos souvenirs pour laisser place à de nouveaux...
L'inévitable est arrivé, il s'est immiscé dans ma vie, lentement... Je l'ai
laissé m'aimer, me montrer que je n'étais pas une carapace d'os et de chair
sans vie, que je valais le coup... Il n'a rien promis, fait aucun projet... Il
me savait trop faible encore, pour me promettre toutes ces choses que tu as
dites... L'inévitable s'est produit Robert, il a habité ces lieux si vides de
toi... Simplement, sans brusqueries, je l'ai aimé...
Tu l'aurais adoré Robert, vraiment... Il est d'une drôlerie,
farceur, taquin; très professionnel, bien trop bosseur à mon goût, il a le vœu
de réussir et tente le tout pour le tout; il aime la musique, ces vieux tubes
que tu chéris aussi. Il est fier, un peu trop parfois tout comme toi, il aime
la vie et tout ce qu'elle lui apporte... Bien plus encore il m'aime... Comme
toi tu l'as fait à nos débuts ! Tu l'aurais adoré Robert... Car en tout point
semblable à toi ! T'aimer à travers lui me semble le remède parfait... Pourtant
tu disparais... De mes pensées, de mes rêves, de mes cauchemars, le trou béant
se referme... Il t'efface de ses je t'aime, de ses caresses, de ses baisers...
Il t'efface, avec mon consentement, lentement, sans effusion... Il t'efface,
notre passé avec...
Ambre
Après une centaine de mètre, elle revint sur ses pas. Ce besoin
violent et incontrôlable de savoir où il vivait et dans quelle circonstance.
Elle le vit monter sur sa moto. Ambre héla un taxi au même moment, et demanda
au chauffeur de le suivre. Trente minutes plus tard, il s’arrêta devant une
grande villa dans le Vésinet. Un enfant jouait dans leur grand jardin… Une
femme était allongée sur une chaise longue près d’une grande piscine. Un
chapeau cachait son visage, mais elle paraissait si belle, même vu de loin.
Elle vit son enfant
se précipiter en courant dans les bras de son père, sa femme à son tour se leva
pour les rejoindre, l’embrassant sur la joue… Ce fut à son bras que tous les
trois rentrèrent chez eux !
Une belle petite famille, non celle qu’elle s’était maintes fois
imaginée… À présent, elle pouvait mettre des images sur les personnages qui
avaient hanté sa vie. Elle resta encore un peu, regardant cette maison, perdant
la notion du temps, le ciel se couvrit, un orage éclata et il commençait à
pleuvoir à torrent…
Elle ressentit tellement de remords à l’égard de cette
femme, dont elle avait volé le mari que cette pensée même lui donna des
nausées. Elle sortit en courant de la voiture pour vomir sur le bas-côté, quand
une voix la fit sursauter !
- Vous allez bien Madame ? demanda le chauffeur.
Adossée à un poteau, toute mouillée par cette rafale de pluie,
elle releva la tête et, elle le vit et
il la vit. Il tenait le ballon de son fils dans ses mains. Probablement sorti
le chercher. Leurs regards se croisèrent et s’en disaient long… Elle le vit
venir vers elle, et elle se précipita vers le taxi, bien avant qu’il ne fût à
sa hauteur, Elle demanda au chauffeur de
vite démarrer.
Se retournant, elle le vit courir en criant son prénom, elle
caressa à son tour le pare-brise de ses doigts comme si elle caressait son
visage, puis sa silhouette avait disparue petit à petit.
Durant tout le trajet, elle s’effondra en larmes… Une partie
d’elle est morte ce soir-là. Elle était revenu au point de départ : il ne savait
rien pour leur fils mais elle, elle savait tout ce qu’elle devait savoir ! Et
elle sut, que plus rien ne serait plus comme avant ayant vu les conditions dans
lesquelles il vivait…
Et la vie a repris son cours.
Ambre avait le coeur plein de regrets, d'amertume et
d'incompréhension. Le cœur lourd d'envie de lui crier qu’elle n’avait fait que
ce qu'il était de son devoir de faire, qu’elle n’avait agi ainsi que pour se
préserver... Elle aurait aimé avoir raison, et qu'il n'y avait plus que cela à
faire. Qu’elle n’avait fait que combattre, pour s’obliger à n'être que chimère
pour qu’ils arrêtent de détruire le passé avec un présent bien trop laid, bien
trop immonde.
Les images, les sensations, les larmes, les sourires forcés,
l'incapacité de revenir en arrière auraient dû disparaître... Son cœur, et bien
plus encore son esprit, avaient pour devoir de s’habituer maintenant. Elle
n’aurait pas du avoir à affronter ça, ce jour et ce qui en avait découlé, elle
ne devait pas avoir à y repenser sans cesse lorsque les souvenirs d'un passé
heureux venaient l'enlacer. Il n’aurait du rester que le bon, la fin de quelque
chose qui fût merveilleux, ce jour-là aurait dû disparaître avec les mauvais
jours, les larmes, les pleurs, cette gifle, la tromperie et bien plus encore
avec ce Robert qu’elle ne reconnaissait pas, cette Ambre qu’il l’avait obligée
à être.
Tout aurait dû disparaître, mais il persistait, son souvenir
persistait, voulant à tout prix être le plus fort, prendre de la place jusqu'à
faire suffoquer les démons qui s'emparaient d’elle, chaque infime seconde de
chaque jour. De ce corps et de chaque infime courbe qui le définissait. De la
douleur assaillant son cœur à son contact.
Parce que les sentiments étaient là, encore et toujours,
logeant entre la haine et le désespoir. Oui les sentiments étaient là, cachés,
patientant tant bien que mal. Parce que ce fut trop tôt, bien trop tôt... Ca
n’aurait pas du se passer ainsi…
Mouna Toujani
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